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Funding loss/ indemnité de remploi : la Cour de cassation a-t-elle dit la messe ?

Le 14 février 2021
Funding loss/ indemnité de remploi : la Cour de cassation a-t-elle dit la messe ?

Le montant qu’une banque est en droit de réclamer lorsqu’une entreprise souhaite rembourser anticipativement des sommes que la banque lui a avancées dépend de la qualification du contrat qui lie la banque à l’entreprise. La question de cette qualification a, jusqu’ici, fait l’objet de décisions judiciaires innombrables, parfois en sens contraire. La chambre néerlandophone de la Cour de cassation a prononcé deux arrêts, en cette matière, les 27 avril 2020 et 18 juin 2020. D’après une décision prononcée par le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles le 18 janvier 2021, ces arrêts ne mettent toutefois pas un terme à la possibilité pour les juridictions de fond de requalifier un contrat nommé « de crédit » en contrat de prêt lorsque les caractéristiques du contrat conclu entre les parties sont incompatibles avec la notion de contrat de crédit.

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 I.             L’arrêt de la Cour de cassation du 27 avril 2020

La Cour d’appel de Bruxelles, dans une décision du 11 juin 2019 soumise à la censure de la Cour de cassation, a jugé que l’entreprise qui avait touché des fonds pour la construction d’un logement disposait d’une liberté de prélèvement, compatible avec la qualification d’ouverture de crédit et, par conséquent, avec l’exigence de la banque d’exiger une indemnité de remploi non limitée à 6 mois d’intérêts conformément à l’article 1907bis du Code civil lors du remboursement anticipé du crédit par le crédité.

Dans le cas d’espèce, le demandeur en cassation avait donc disposé d’une liberté d’étaler, selon ses besoins, le prélèvement du montant du crédit au fur et à mesure de l’exécution des travaux, sans obligation de prélever la totalité d’un montant mais moyennant le paiement d’une indemnité si la totalité du montant n’était pas utilisé par le crédité.  

Dans sa décision du 27 avril 2010, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi introduit par l’entreprise au motif que le fait « qu’une indemnité était due si le montant du crédit n’avait pas été prélevé, que la destination des fonds prélevés devait être démontrée et que le prélèvement n’était possible qu’avec le consentement du créditeur », n’exclut pas la qualification d’ouverture de crédit. La Cour a ajouté que l’existence d’un tableau d’amortissement prévoyant des remboursements périodiques fixes à partir du premier mois de la période de remboursement n’exclut pas davantage cette qualification puisqu’un « nouveau tableau d’amortissement pouvait être établi dans le cas où le montant du crédit n’avait pas été entièrement prélevé » .

 II.           L’arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2020

Dans son arrêt du 18 juin 2020, la décision de la Cour d’appel de Gand soumise à la censure de la Cour de cassation portait sur le remboursement anticipé d’un contrat de crédit octroyé pour le financement de l’achat d’un terrain industriel et le financement partiel de la construction d’un bâtiment industriel.
 
Dans cette décision, la Cour de cassation a décidé qu’ « un prélèvement d’argent en vertu d’une ouverture de crédit ne fait pas naitre un prêt d’argent au sens des article 1892 et 1905 du Code civil, auquel l’article 1907bis s’applique » (nous soulignons).
 
Les établissements de crédit ont interprété cette décision comme mettant un terme à la possibilité pour les Cours et Tribunaux de qualifier d’une part, de promesses de prêt un contrat qualifié par la banque de contrat de crédit et, d’autre part, de contrat de prêt la relation contractuelle qui nait lors de la remise des fonds.
 
C’était toutefois oublier que l’arrêt de la Cour d’appel de Gand soumis à la censure de la Cour de cassation avait constaté, de manière souveraine, l’existence d’une liberté de prélèvement dans le chef du crédité, et partant, d’un élément majeur différenciant une ouverture de crédit d'un prêt.
 
L’enseignement de la Cour de cassation que l’on peut tirer de cet arrêt du 18 juin 2020 ne peut, par conséquent, pas être qualifié d’enseignement de principe puisqu’il se limite à rappeler que lorsqu’une ou plusieurs remise(s) de fonds résulte(nt) d’un contrat que l’on peut légalement qualifier de contrat de crédit, cette/ces remise(s) ne fait/font pas naitre de contrat de prêt limitant à 6 mois d’intérêts le montant de la funding loss/indemnité de remploi que la banque peut exiger lors d’un remboursement anticipé.

 III.        La décision du Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles du 18 janvier 2021 

Dans une décision prononcée le 18 janvier 2021, le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles a requalifié, tout en tirant les enseignements des arrêts précités de la Cour de cassation, un contrat qualifié par les parties de contrat de crédit, en contrat de prêt.

Le Tribunal estime que le critère de la liberté de prélèvement des fonds est le critère déterminant pour qualifier un contrat de contrat de crédit ou de contrat de prêt.

En l’espèce, le Tribunal a constaté que (i) les fonds ne pouvaient servir qu’à l’achat d’un immeuble ; (ii) la durée de prélèvement de 5 mois n’était que théorique puisque le prélèvement ne pouvait avoir lieu qu’après la constitution de l’hypothèque et d’un mandat hypothécaire sur l’immeuble – ce qui impliquait que les fonds ne pouvaient être prélevés que le jour de la signature de l’acte authentique de vente – ; et (iii) l’entreprise était obligée de prélever les fonds en une seule fois. A défaut de liberté de prélèvement, et nonobstant les arrêts prononcés par la Cour de cassation les 27 avril 2020 et 18 juin 2020, le Tribunal a requalifié le contrat qui lui était soumis et a condamné BNP PARIBAS FORTIS à rembourser à l’emprunteur le montant de l’indemnité de remploi qu’elle avait réclamée et qui dépassait les critères de l’article 1907 bis du Code civil (6 mois d’intérêts).

Notons encore que, sur le plan juridique, le Tribunal a précisé que la requalification qu’il a opérée ne méconnait pas le caractère réel du contrat de prêt car l’accord qualifié de « contrat de crédit » par la banque et signé antérieurement à la mise à disposition des fonds peut être qualifié de promesse de contrat de prêt ; le contrat de prêt, stricto sensu, ne s’étant formé que lors de la mise à disposition des fonds, sans qu’un nouvel échange de consentement n’ait été nécessaire pour faire naitre ce contrat.

IV.       Conclusion

Les établissements bancaires et leurs conseils semblent avoir crié victoire un peu vite en commentant les arrêts prononcés par la Cour de cassation les 27 avril et 18 juin 2020 comme une confirmation de l’impossibilité pour les juridictions de fond de continuer à requalifier des contrats nommés « de crédit » en contrat de prêt, en vue de réduire les indemnités de remploi/funding loss réclamées par les banques lors d’un remboursement anticipé des sommes prélevées.


Ces arrêts ne remettent pas en cause le critère de la liberté de prélèvement qui distingue le contrat de crédit du contrat de prêt. La Cour de cassation enseigne toutefois que si un juge constate une liberté de prélèvement dans le chef du client de la banque, il ne peut, ensuite, requalifier les différents prélèvements subséquents, une fois réalisés, en une succession de contrats de prêt.


Les Cours et Tribunaux devront, en revanche, continuer à apprécier si la qualification de contrat de crédit, retenue par les parties, ne méconnait pas les caractéristiques fondamentales du contrat de crédit et en particulier, la liberté de prélèvement du crédité qui doit obligatoirement exister pour que les dispositions régissant les contrats de crédit puissent s’appliquer.


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