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Funding loss : la Cour de cassation continue ses éclaircissements

Le 26 août 2022
Funding loss : la Cour de cassation continue ses éclaircissements

Le contentieux relatif aux indemnités de remploi (funding loss) réclamées par les banques lors d’un remboursement anticipé d’un crédit bancaire est toujours d’actualité. Malgré divers arrêts prononcés par la Cour de cassation pour clarifier la situation juridique, les solutions divergent et dépendent en réalité fortement des particularités de chaque dossier. Dans de précédents articles, nous commentions déjà l’interdiction imposée légalement aux banques, par l’article 1907bis du Code civil, de réclamer plus de 6 mois d’intérêts à leurs clients en contrepartie du remboursement anticipé d’un contrat qualifié de crédit dans la documentation contractuelle mais qui présente toutes les caractéristiques d’un contrat de prêt.

Je rappellerai, dans la première section de cet article, la différence entre ces deux contrats. Le présent article aura ensuite pour objectif de commenter le nouvel arrêt prononcé le 11 février 2022 par la section francophone de la Cour de cassation. Cet arrêt qui fait suite à un autre arrêt prononcé quelques jours plus tôt par la section néerlandophone, le 3 février 2022, et qui est commenté dans un article distinct, porte sur les conséquences de la nature « réelle » du contrat de prêt en vue de sa requalification.

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I.  La distinction entre un contrat de prêt et une ouverture de crédit : rappel

La Cour de cassation définit le prêt comme « une convention par laquelle le prêteur met une somme d’argent déterminée à la disposition de l’emprunteur, à charge pour ce dernier de la restituer, augmentée d’un intérêt si celui-ci est contractuellement prévu. Il s’agit d’un contrat réel qui nait par la remise de la somme d’argent ».

A l’inverse du contrat de prêt, l’ouverture de crédit est définie par la Cour de cassation comme « une convention consensuelle et synallagmatique par laquelle le créditeur met des fonds à la disposition du crédité durant une certaine durée et à concurrence d’un certain montant. Le crédité peut faire usage de ce crédit par un ou plusieurs prélèvements. Le crédité n’est pas obligé d’utiliser le crédit ». La Cour de cassation a également jugé qu’ « une ouverture de crédit confère au crédité un droit personnel de faire usage, à sa demande, de la ligne de crédit accordée par la convention de crédit ».

Ce qui distingue le contrat de crédit du contrat de prêt c’est donc la liberté de prélèvement des sommes mises à disposition du client, que ce soit au niveau du principe même (il peut ne rien prélever), mais également de timing et du fractionnement de ses prélèvements (le crédité pouvant utiliser le crédit par un ou plusieurs prélèvements).

Pour échapper au prescrit de l’article 1907bis du Code civil, qui limite à 6 mois d’intérêts le montant qu’une banque peut réclamer à son client dans l’hypothèse d’un remboursement anticipé de son prêt, il est extrêmement courant que les banques qualifient d’ouverture de crédit le contrat par lequel une entreprise, très couramment une PME, sollicite un « prêt » à la banque pour financer l’achat d’un terrain, d’un immeuble ou la construction de celui-ci. Sur papier, il peut alors être écrit que le client dispose de la liberté de prélever les fonds jusqu’au jour prévu pour la passation de l’acte authentique de vente ou à la fin de la période prévue pour la construction/rénovation de l’immeuble. L’affectation des fonds est classiquement imposée. S’il ne prélève pas les fonds, il est par ailleurs généralement convenu que le client devra également une indemnité à la banque.

Lors du remboursement anticipé des fonds mis à la disposition du client dans le cadre d’un contrat alors qualifié de contrat de crédit, les banques en profitent pour exiger le paiement d’une indemnité de remploi/funding loss proche ou égale à la marge bénéficiaire que la banque entendait encore se ménager sur les intérêts qui devaient continuer à courir jusqu’au terme du contrat ; ce qui diffère substantiellement du montant autorisé par l’article 1907bis du Code civil en matière de prêt.

II.  Le caractère réel du contrat de prêt et la promesse de prêt

Dans son arrêt prononcé le 11 février 2022, la Cour de cassation a énoncé que « Le caractère réel du contrat de prêt ne fait pas obstacle à ce que les parties s’engagent préalablement par une promesse réciproque à livrer la chose et à l’accepter, laquelle se dénoue en un prêt par la remise de la chose ».

Cette règle, déjà consacrée par la Cour de cassation en matière de funding loss/indemnité de remploi par un arrêt du 11 mars 2021 commenté dans un précédent article, exclut désormais la possibilité pour les banques d’encore soutenir qu’ une opération de crédit prévoyant la mise à disposition ultérieure des fonds ne pourrait être qualifiée de prêt puisque, en raison de son caractère réel, le contrat de prêt n’est valablement formé que par la remise des fonds elle-même.

Selon la Cour de cassation, le contrat qualifié de contrat de crédit peut être requalifié, en l’absence de liberté de prélèvement, en promesse de prêt avec naissance d’un « réel » contrat de prêt au moment de la remise des fonds et donc application de l’article 1907bis du Code civil lors du remboursement anticipé ultérieur.

Cette jurisprudence désormais constante est à comparer avec un enseignement, toujours applicable, prononcé par la Cour de cassation dans un arrêt daté du 27 avril 2010. Dans cette décision, la Cour de cassation avait décidé qu’ « un prélèvement d’argent en vertu d’une ouverture de crédit ne fait pas naitre un prêt d’argent au sens des article 1892 et 1905 du Code civil, auquel l’article 1907bis s’applique ».

Comme je le soulignais déjà à l’époque (voir mon précédent article), cet arrêt ne mettait pas un terme à la possibilité pour les juges de fond de requalifier des ouvertures de crédit en contrat de prêt mais se contentait de rappeler que lorsqu’une ou plusieurs remise(s) de fonds résulte(nt) d’un contrat que l’on peut légalement qualifier de contrat de crédit, cette/ces remise(s) ne fait/font pas naitre de contrat de prêt limitant à 6 mois d’intérêts le montant de la funding loss/indemnité de remploi que la banque peut exiger lors d’un remboursement anticipé. A l’inverse, si le juge de fond constate souverainement l’absence de liberté de prélèvement convenue entre parties, alors la remise des fonds consécutive à l’accord de mise à disposition des fonds (qui s’analyse alors comme une promesse de prêt) entrainera bien la naissance d’un contrat de prêt.

Les deux jurisprudences rappelées ci avant ne sont donc nullement contradictoires. Il revient au préalable au juge de fond d’apprécier l’existence ou non d’une liberté de prélèvement.

III.  L’application aux prélèvements successifs

Dans son arrêt prononcé le 11 février 2022, la Cour de cassation ajoute à son enseignement de principe que « Lorsque la promesse réciproque porte sur une certaine quantité de choses, il ne s’oppose pas davantage à ce que la remise de ces choses soit échelonnée et modifie au fur et à mesure l’objet du prêt ».

Autrement dit, qu’une société sollicite de la banque des fonds pour acheter un immeuble neuf à payer en une seule fois ou pour payer la construction ou la rénovation d’un immeuble par plusieurs versements qui dépendent de l’avancement des travaux, sa situation juridique ne change pas : si le client ne dispose pas de liberté de prélèvement, l’ouverture de crédit peut être requalifiée en promesse de prêt et le prêt naitra, avec modifications successives de son montant, par les différentes mises à disposition.

Cette hypothèse était plus controversée en jurisprudence car les juges de fond (en particulier au nord du pays) avaient jusqu’ici tendance à estimer que les fonds étaient, dans cette hypothèse, utilisables selon les besoins, le timing et les désidératas du client.

En l’espèce, la Cour de cassation a ainsi validé une décision prononcée par la Cour d’appel de Liège le 22 avril 2020. Dans cette décision, la Cour d’appel avait requalifié un ouverture de crédit en contrat de prêt (et avait dès lors appliqué la limite de 6 mois prévue pour l’indemnité de remploi/funding loss par l’article 1907bis du Code civil) dans une hypothèse où :

- le crédit était destiné à financer l’achat et la rénovation [d’un] immeuble d’habitation et commercial ;

- les crédités étaient tenus d’utiliser le crédit dans un délai de 9 mois […] à partir de la date de signature du contrat de crédit ;

- une commission de réservation de 0,1000 p.c. par mois était portée en compte pour le montant non utilisé »

- les crédités avaient la faculté d’utiliser ou de ne pas utiliser le crédit d’investissement mais une indemnité égale à six mois d’intérêts, calculée au taux du crédit d’investissement, sur le montant non prélevé du crédit était due si (i) pendant la période de prélèvement convenue du crédit, les crédités faisaient part de leur intention de ne plus utiliser le crédit, en tout ou en partie ou qu’il apparaissait que les crédités ne pourraient honorer en temps voulu les conditions convenues pour la mise à disposition du crédit ; et (ii) si le crédit n’était pas prélevé, en tout ou en partie et pour quelque raison que ce soit, à l’expiration de la période de prélèvement convenue entre les parties, même si cette situation était imputable à des liens ou à des faits étrangers à la volonté des crédités.

Dans cette situation, la Cour de cassation a jugé que la Cour d’appel de Liège avait pu légalement déduire que les crédités étaient « tenus contractuellement d’utiliser le crédit endéans les neuf mois », celui-ci étant « destiné à financer uniquement l’acquisition et la rénovation d’un immeuble, […] formant une opération unique […] qui doit être considérée comme le seul objet du crédit ». La Cour de cassation n’a dès lors pas censuré la requalification opérée par la Cour d’appel de Liège de ce « contrat de crédit » en contrat de prêt.

IV.  Conclusion

Loin de sonner le glas du contentieux entourant les réclamations, par les banques, d’une indemnité de remploi/funding loss, cet arrêt vient, à mon sens, confirmer, à l’avantage des emprunteurs, que les hypothèses dans lesquelles le juge du fond est en droit de souverainement requalifier un contrat qualifié de contrat de crédit sont nombreuses. En validant une décision qui requalifie un contrat de crédit en contrat de prêt lorsque le crédité disposait de neuf mois pour utiliser les fonds en raison de la durée de la rénovation de l’immeuble et des divers paiements successifs qui en résultaient, la Cour de cassation confirme que la liberté de prélèvement, critère au cœur de ce contentieux, n’est pas à apprécier de manière stricte, mais bien de manière effective (comme l’arrêt prononcé le 3 février 2022 le rappelle d’ailleurs).

Relevons cependant que cet arrêt a été prononcé par la chambre francophone de la Cour de cassation et qu’il n’est pas exclu, en raison des tendances jurisprudentielles plus strictes au nord du pays, que la section néerlandophone ne se montre pas aussi protectrice à l’avenir.

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